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Anna Gavalda conteuse de la vie ordinaire

par Pascale Frey
Lire, février 2002

 Elle, qui a si bien croqué la vie des autres dans son recueil de nouvelles Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, raconte aujourd'hui son amour défait.

Elle ressemble à ses livres. Mélange d'humour et de perspicacité, de tristesse et d'insouciance, de lucidité et de gaieté. Anna Gavalda n'est pas qu'un phénomène littéraire, c'est aussi une drôle de bonne femme. Elle est née dans une des cliniques les plus chics de Paris il y a trente et un ans. Elle vit aujourd'hui à Melun, dans la banlieue parisienne. Entre les deux, un parcours peu traditionnel qui déboucha il y a deux ans sur un délectable recueil de nouvelles. Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part (J'ai lu) séduisit et continue à séduire des centaines de milliers de lecteurs. Son roman qui paraît aujourd'hui, excellent lui aussi, s'intitule Je l'aimais. Le premier livre sonnait comme un plaidoyer, le second résonne comme un regret.

Pourtant, Anna Gavalda n'engendre ni la mélancolie ni la nostalgie. Ses parents, «Parisiens bourgeois éclairés», ont fait le grand saut en 1968: «Ils ont décidé de quitter la ville pour aller vivre dans une abbaye non chauffée. J'ai vécu une superbe enfance bucolique, avec mes trois frère et sœurs qui restent aussi mes meilleurs amis.» Quand elle a quatorze ans, ses parents se séparent. Anna est envoyée dans une école catholique avec jupe bleu marine et prière à tous les repas. Le choc est rude. Une fois sortie de ce quasi-couvent, elle a davantage envie de liberté que d'études.

Elle tente mille petits boulots, devient professeur de français dans une école privée, traduit des romans Harlequin, écrit de profonds articles sur les fraises pour le magazine de Carrefour et lit beaucoup. Elle observe aussi énormément. «J'ai toujours aimé écrire. Quand j'étais petite, je préparais des discours pour les réunions de famille, je faisais des one woman shows. Mais ce serait prétentieux et impudique d'affirmer que je voulais devenir écrivain.» Elle prend comme prétexte les concours de nouvelles pour donner ses textes à lire. Concours qu'elle gagne régulièrement. Pourquoi ne pas les envoyer à des éditeurs? «Je n'espérais même pas être publiée. Je voulais juste que l'on m'aide, que l'on me fasse des remarques sur mon travail. J'ai arrosé le Tout-Paris éditorial de mes photocopies. Je n'ai pas reçu un seul mot personnel, que des lettres types. Puis j'ai envoyé mon manuscrit au Dilettante, dont j'aimais les couvertures. Deux jours après, Dominique Gaultier m'a appelée pour signer un contrat. C'est une belle histoire.»

Dans ses rêves les plus fous, Anna Gavalda imaginait dix mille exemplaires. Mais il y eut la presse, unanime; le prix Lire-RTL; un passage chez Ruquier; le coup de foudre des libraires... «Le succès m'est passé un peu au-dessus, car au même moment je vivais un divorce douloureux.» Aujourd'hui, Anna Gavalda peut s'offrir le luxe de rejeter les propositions mirobolantes de grands éditeurs. Elle leur préfère un artisan, Le Dilettante, dont elle a aussi refusé les à-valoir. Et si elle y reste, c'est parce qu'elle pense «que les beaux textes valent mieux que les beaux chèques».

Après le premier livre et la séparation, Anna Gavalda a décidé de continuer à vivre à Melun, pour que Louis, six ans, et Félicité, trois ans, voient leur père régulièrement. Elle a atterri dans cet appartement qui ne l'enthousiasme guère, à l'exception de la vue imprenable sur l'église. Elle s'est d'abord offert une année de congé parental où elle tenait une chronique chaque semaine dans Télérama. Puis elle s'est attaquée à ce premier roman, qui est un long dialogue entre une jeune femme, que son mari vient de quitter, et son beau-père. Tout au long d'une nuit de discussion, ils apprennent à se connaître. C'est un texte simple, proche, sans artifice littéraire. Un texte travaillé, ciselé, mais qui coule de source. «Je l'aime ce livre, j'en suis fière», s'exclame la jeune femme. «Lorsque je lis, j'entends l'auteur me parler. Là, j'ai testé chaque mot au diapason presque obsessionnellement, pour que l'on écoute ces dialogues. Et la moindre des politesses, c'est qu'un lecteur se sente accueilli dans votre livre.»

Chez elle, peu de bibliothèques, mais trois ordinateurs. Un PC pour les CD-Rom des enfants et deux Macintosh pour elle, son seul luxe avec une gouvernante qui lui a changé la vie. «J'ai assez peu d'emprise sur la vie matérielle. J'avais commencé à accrocher des rideaux et je ne suis pas allée jusqu'au bout. Je voulais repeindre la pièce, je n'ai même pas commencé.» Ce lieu n'est pas luxueux, mais confortable. Dans le salon, un ouvrage d'art trône sur un lutrin. «Je trouve que c'est le meilleur moyen de regarder un beau livre. En ce moment, je tourne tous les jours une page des dessins de Dürer.» Sur la table, des bandes dessinées qu'elle lit pour le festival d'Angoulême dont elle est membre du jury. «Je suis enthousiasmée par Pilules bleues de Frederik Peeters. Cela a été pour moi le choc émotionnel de ces derniers mois.»

Dans la chambre des enfants, il y a beaucoup d'albums. Ceux qu'elle achète, ceux qu'elle reçoit pour sa chronique dans Elle. Enfin, dans sa chambre, qui lui sert aussi de bureau, une télévision sans antenne, juste pour les vidéos de Tex Avery. Peu de livres, car elle ne garde presque rien. Juste Lent dehors de Philippe Djian, Sylvia de Howard Fast, Accidents de Laurie Colwin, Le petit musée pour les enfants et Le livre du point de croix de Régine Deforges. «Je n'aime pas les objets, je n'aime pas posséder. Tout ce qui fait ma fortune et ma force est dans ma tête. Les seules choses qui me font vraiment rêver? Elles sont si luxueuses que je ne peux pas me les offrir. Ce sont de l'espace et du temps», conclut-elle dans un sourire. Oui, Anna Gavalda ressemble vraiment à ses livres. Irrésistible.






GLOSER:

croquer: beskrive
défait: rodet



perspicacité: klarsyn
insouciance: ubekymrethed
bonne femme: "kone"

parcours: livsforløb
déboucher sur: ende med
délectable: lækker
séduire: forføre

plaidoyer: forsvarstale

engendrer: fremkalde
éclairé: oplyst
saut: spring

bucolique: landlig



quasi-: halv-, næsten-
davantage: mere
tenter: prøve




impudique: ublufærdig



arroser: "bombardere"
Tout-Paris: det mondæne Paris, "de førende parisiske forlag"
couverture: bogomslag




Ruquier



mirobolant: fantastisk
artisan: skaber
à-valoir: forskud




atterrir: lande
imprenable: "som ikke kan ødelægges
congé: orlov
parental: forældre-
s'attaquer à: give sig i kast med

artifice: kunstfærdighed


diapason: stemmegaffel
obsessionnellement: "sygeligt"




emprise: magt

accrocher: hænge op

lutrin: nodestativ






album: billedbog