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Tekster

1. Victor Hugo:    Les misérables (uddrag fra kapitel 6, bog 2: Fantine)

S

 

Il partit pour Toulon. Il y arriva après un voyage de vingt-sept jours, sur une charrette, la chaîne au cou. A Toulon, il fut revêtu de la casaque rouge. Tout s'effaça de ce qui avait été sa vie, jusqu'à son nom; il ne fut même plus Jean Valjean; il fut le numéro 24601. Que devint la soeur? que devinrent les sept enfants? Qui est-ce qui s'occupe de cela? Que devient la poignée de feuilles du jeune arbre scié par le pied?

C'est toujours la même histoire. Ces pauvres êtres vivants, ces créatures de Dieu, sans appui désormais, sans guide, sans asile, s'en allèrent au hasard, qui sait même? chacun de leur côté peut-être, et s'enfoncèrent peu à peu dans cette froide brume où s'engloutissent les destinées solitaires, moines ténèbres où disparaissent successivement tant de têtes infortunées dans la sombre marche du genre humain. Ils quittèrent le pays. Le clocher de ce qui avait été leur village les oublia; la borne de ce qui avait été leur champ les oublia; après quelques années de séjour au bagne, Jean Valjean lui-même les oublia. Dans ce coeur où il y avait eu une plaie, il y eut une cicatrice. Voilà tout. A peine, pendant tout le temps qu'il passa à Toulon, entendit-il parler une seule fois de sa soeur. C'était, je crois, vers la fin de la quatrième année de sa captivité. Je ne sais plus par quelle voie ce renseignement lui parvint. Quelqu'un, qui les avait connus au pays, avait vu sa soeur. Elle était à Paris. Elle habitait une pauvre rue près de Saint-Sulpice, la rue du Gindre. Elle n'avait plus avec elle qu'un enfant, un petit garçon, le dernier. Où étaient les six autres? Elle ne le savait peut-être pas elle-même. Tous les matins elle allait à une imprimerie rue du Sabot, no 3, où elle était plieuse et brocheuse. Il fallait être là à six heures du matin, bien avant le jour l'hiver. Dans la maison de l'imprimerie il y avait une école, elle menait à cette école son petit garçon qui avait sept ans. Seulement, comme elle entrait à l'imprimerie à six heures et que l'école n'ouvrait qu'à sept, il fallait que l'enfant attendît, dans la cour, que l'école ouvrit, une heure; l'hiver, une heure de nuit, en plein air. On ne voulait pas que l'enfant entrât dans l'imprimerie, parce qu'il gênait, disait-on. Les ouvriers voyaient le matin en passant ce pauvre petit être assis sur le pavé, tombant de sommeil, et souvent endormi dans l'ombre, accroupi et plié sur son panier. Quand il pleuvait, une vieille femme, la portière, en avait pitié; elle le recueillait dans son bouge où il n'y avait qu'un grabat, un rouet et deux chaises de bois, et le petit dormait là dans un coin, se serrant contre le chat pour avoir moins froid. A sept heures, l'école ouvrait et il y entrait. Voilà ce qu'on dit à Jean Valjean. On l'en entretint un jour, ce fut un moment, un éclair, comme une fenêtre brusquement ouverte sur la destinée de ces êtres qu'il avait aimés, puis tout se referma; il n'en entendit plus parler, et ce fut pour jamais. Plus rien n'arriva d'eux à lui; jamais il ne les revit, jamais il ne les rencontra, et, dans la suite de cette douloureuse histoire, on ne les retrouvera plus.

:Charrette (f): 1. (tohjulet) arbejdsvogn, kærre; (dvs. charrette des condamnés) bøddelkærre (også fig.):

Revêtu: se revêtir de iføre sig, iklæde sig.

 

Casaque: 3. (hist.) musketerkappe

 


 

 

2. Véronique Vasseur: Médecin-chef à la Santé (uddrag)

 

PARIS, le 13 janvier 2000 (Le Monde)

Seule nuit et jour avec 1 800 détenus, c'est le quotidien de Véronique Vasseur, médecin-chef depuis 1993 à la prison de la Santé, à Paris. Dans un témoignage bouleversant, elle raconte cette cour des miracles. « Le Monde » publie des morceaux choisis d'un livre à paraître aux Editions du Cherche-Midi

Première garde de nuit seule. Je commence à reconnaître les détenus. « Attention, me disent les gardiens ; ils se sont tous passés le mot : vous allez passer une mauvaise nuit. » Un détenu arrive. Il a un gros abcès sur la main. Naturellement, je n'ai rien sur moi : pas de lancette pour percer. Je prends une aiguille à points de suture : il a l'air complètement affolé. Comme je n'en mène pas large moi non plus, il me dit : « Je suis un homme. » Ça, je m'en étais aperçue ! Les cafards courent dans l'infirmerie ; ils se baladent, s'infiltrent partout sur les pots de désinfectant : j'ai peur d'en serrer un dans la main. À la fin de la consultation, le type me demande s'il peut me revoir demain. Il a besoin d'être rassuré. Il est paumé, moi aussi.

Aujourd'hui, on aura une star : un confrère, le docteur Garretta, arrive ce soir.

Je suis appelée pour des toxicos en manque arrivant du dépôt où, depuis deux jours, ils n'ont eu aucun traitement pour les soulager. Tremblants, prostrés, pieds nus dans leurs souliers sans lacets, tenant leur pantalon sans ceinture, ils ont piètre allure. A 2 heures du matin, on me réveille : un détenu ferait une crise d'épiIepsie. Je me retrouve, après un dédale d'escaliers plutôt crades, dans une cellule avec sept gardiens et quatre détenus. On est douze en tout dans dix mètres carrés. Je n'ai même pas de place pour poser ma valise. Une petite loupiote éclaire faiblement la pièce ; je ne peux pas lire le nom des médicaments sur les ampoules, je ne vois absolument rien. Le type est au sol, tremblant de tous ses membres ; je finis par me retrouver par terre, à quatre pattes pour l'examiner. Dans la panique générale, je perds ma boucle d'oreille ; je suis là à chercher à tâtons mon anneau... Je finis par trouver la bonne ampoule, ma boucle d'oreille, et tout rentre dans l'ordre !

On me signale un boxeur costaud, un Malien qui se dit américain. Il a l'air complètement dingue. Il vient de fracturer la main d'un gardien. Il est tout nu dans une cellule de force complètement vide, et il mange ses crottes. Je suis effarée. Un autre détenu du mitard est très agité. Il déclare avoir avalé des lames de rasoir. J'apporte des tranquillisants, que le gardien lui enfourne dans la bouche à travers la grille. La première nuit va être longue. Je n'arrive pas à dormir : ce foutu téléphone au pied du lit qui peut sonner d'un moment à l'autre. Consultation sur consultation. Je viens de passer pour la première fois vingt-quatre heures en prison. En une journée, j'ai compris ce que signifie être enfermé.

Deuxième garde. Le matin, les détenus défilent. Ils arrivent du dépôt ; beaucoup ont été tabassés par les flics. A la fin de la consultation des entrants, ils partent pour être affectés dans une cellule. Ils marchent, deux par deux, entravés par des chaînes aux pieds, dans un fracas épouvantable. Ce matin, des pigeons sont posés par dizaines sur les filets anti-suicide. Les plumes volent, des fientes tombent. Il faudrait presque se balader avec un parapluie ; on se croirait dans une gigantesque volière. Par moments, quelques rayons de soleil arrivent à percer. Je déambule dans ce décor presque irréel avec ma grande valise noire.

Je suis appelée pour un grand gaillard, superbe. Il doit faire de la gonflette. Je n'arrive même pas à lui prendre la tension tellement ses bras sont musclés. Il en a pris pour quinze ans : assassinat avec préméditation. Il est malade du sida et me prévient gentiment de prendre mes précautions au cas où je lui ferais une piqûre. Les gardiens me laissent une demi-heure enfermée avec lui. Ils ont même fermé la porte et fait sortir les autres détenus. Mais me retrouver toute seule, enfermée avec un assassin, même sympathique, me laisse un peu sceptique sur la conception de la sécurité que l'on a ici.

En plein déjeuner, urgence : un détenu s'est coupé le bras. Il est très agité. Je cherche le matériel de suture. Il est séropositif, il pisse le sang. je suis tellement stressée que je lui fais une couture multicolore, avec des fils rouges, bleus et verts. Il est content ; les infirmières se marrent, pas moi. Je transpire : j'ai beau m'être entraînée sur des escalopes de dinde, la peau est beaucoup plus dure...

Encore une urgence : une crise d'épilepsie au bloc C, le bloc des Maghrébins, et, cette fois, ce n'est pas de la frime. Il arrive, m'a-t-on dit, que des urgences soient simulées mais, là, c'est du solide. Le type s'est mordu la langue et saigne comme un boeuf. Sa bouche fait des bulles, comme de la confiture de groseilles qui bout ; il y a une mare de sang par terre.

3 heures du matin : nouvelle urgence. Le détenu est déjà au mitard. On peut le suivre à la trace : il est recroquevillé comme un escargot dans une mare de sang, tout nu, au fond de la cellule. Il tremble. J'essaie au milieu du sang de voir d'où provient la blessure. Huit gardiens sont avec moi : le type me fait signe d'approcher. Dès que je fais un pas, les gardiens suivent. Je finis allongée sur lui avec les huit gardiens aux fesses qui ne tiennent pas, semble-t-il, à ce qu'il me parle. Il me chuchote à l'oreille : « C'est eux qui m'ont fait ça. » Est-ce vrai ? Qui croire ?

Il est 4 heures : impossible de dormir. Les entrants : une dizaine, pas un ne parle français. Interrogatoire de sourds-muets, à l'aide de signes.

Je repars courir les couloirs crasseux, pleins de taches suspectes, de détritus, de restes de bouffe, de bêtes diverses, gros rats, cafards, petites souris. Les murs partent en lambeaux, les carreaux sont cassés, les chasses d'eau fuient et certaines ont même de la verdure qui commence à pousser dedans. La crasse partout, la vétusté en plus.

Encore X qui pique sa crise. La dernière fois, il a avalé des lames de rasoir et, cette fois-ci, il a ingurgité ses lunettes avec les verres. Radio en vitesse : on retrouve les branches, mais pas les verres. Les lames ont déjà disparu. Les détenus sont malins : ils avalent les lames enroulées dans du papier scotch invisible à la radio, mais qui évite qu'ils se perforent. Ils ont l'estomac en béton : question d'habitude.

(...)

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

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